Pythagore, Platon et Aristoxène
2 500 ans après les découvertes de Ling Louen, la Grèce avait elle aussi développé une pratique musicale, rituelle et profane. Les troubadours de l’époque, les aèdes, racontaient des histoires et chantaient des chansons en s’accompagnant à la cithare dont le nombre de cordes était passé de quatre, lors de sa création par le dieu Hermès, à sept et même parfois au-delà. Chaque corde portait un nom correspondant non à un son comme aujourd’hui, mais à sa position (par exemple, la corde jouée avec l’index s’appelait le lichanos, nom grec de ce doigt, celle du milieu la mèse) et ne correspondait pas forcément à un son bien défini. Les musiciens accordaient leur cithare selon leur goût, leur aptitude et les coutumes de leur région, tout en respectant les consonnances naturelles remarquables découvertes par leurs prédécesseurs (nos quintes et octaves).
On raconte qu’un jour, le savant Pythagore aurait été par hasard le témoin d’une scène qui deviendra célèbre et aura d’incroyables conséquences pour l’évolution de la théorie et de la pratique musicales jusqu’à nos jours : passant près d’une forge, il remarqua que le bruit des marteaux sur les enclumes produisait des sons aussi harmonieux que les cithares des aèdes. Après avoir découvert que ces harmonies n’étaient pas dues à un talent particulier des forgerons mais au poids des marteaux, il prolongea son expérience sur une corde tendue avec un chevalet mobile et découvrit, que les consonnances plaisantes des aèdes correspondaient à des rapports mathématiques particuliers : 1, 3/4, 2/3 et ½. Pour parler avec nos termes d’aujourd’hui, si la longueur maximum de la corde, ou le poids du marteau le plus grave, donne la note que nous appelons Do, une longueur ou un poids plus petit d’un quart donnera la note Fa, une diminution d’un tiers donnera Sol et la moitié donnera un Do à l’octave supérieure. La perfection logique de la suite de ces proportions correspondant exactement aux consonnances qu’appréciaient les amateurs de musique prouvait de façon éclatante son origine divine et allait donner du grain à moudre aux successeurs de Pythagore.
L’un des plus connus est le philosophe Platon, qui voyait dans la perfection de cette série mathématique la cause de l’influence de la musique sur la nature humaine, avec sa capacité de l’exciter pour la bataille, de la calmer pour la paix, voire même de la guérir en cas de maladie. Il était donc important que la république se soucie de la qualité de la musique produite, que seul le respect rigoureux de ces proportions magiques pouvait garantir. On raconte même que Timothée de Milet, embauché à Sparte pour enseigner la musique aux jeunes garçons, fut viré comme un malpropre pour leur avoir proposé « une musique molle et compliquée », ayant ajouté à sa cithare de nombreuses cordes incompatibles avec les « modes vigoureux et simples » en vigueur.
Mais les joueurs de cithare ou d’aulos (une sorte de hautbois) se heurtaient à des difficultés pratiques, aussi bien dans la fabrication ou l’accord de leur instrument que dans le jeu, dont ils se tiraient avec talent mais qui ne respectaient pas rigoureusement les principes théoriques des savants, et même les bafouaient parfois comme Timothée de Milet. Ils eurent pour défenseur un autre successeur de Pythagore, Aristoxène de Tarente, qui proposait que l’on laisse les musiciens jouer leur musique à leur goût plutôt que de leur imposer le respect de proportions mathématiques certes remarquables mais difficiles à contrôler dans le feu de la création artistique., et dont la rigueur mathématique n’était pas aussi indiscutable si on creusait un peu.
Comme on le verra, la suite lui a en grande partie donné raison et beaucoup considère aujourd’hui Aristoxène comme un véritable précurseur de la musique moderne.